étape Cherbourg /V Hugo
grande rade Cherbourg vue de Collignon Tourlaville
"à sept heures je roulais vers Cherbourg dans un coucou dont
les roues faisaient entre elles des angles bizarres.
Je roulais depuis deux heures, il était nuit noire.
Tout à coup je lève ou plutôt je baisse les yeux , Il y avait
devant nous un immense gouffre d’ombre où la mer faisait
de larges échancrures blanchâtres . À droite,sous nos pieds,
au fond, brillaient quelques vingtaines de lanternes alignées
avec quelques vitres éclairées çà et là dans un tas informe
de toits noirs. Au loin éclataient deux phares. À gauche,
au-dessus de nous, les ormes de la route, qui ont des profils
si étranges la nuit, se détachaient sur un ciel crépusculaire.
La spirale indécise du chemin se perdait à mi-côte.
On entendait le bruit mystérieux de la mer,j’arrivais à Cherbourg !
Il est difficile, n’est-ce pas, de mieux arriver dans une ville.
N’en rien voir que quelques lumières dans un amas d’ombre,
n’en rien entendre dans la rumeur de l’océan, c’est admirable,
on la suppose comme on veut. Le lendemain j’étais tout
désappointé. Excepté l'église, qui a quelques curieuses
ciselures, Cherbourg est une plate ville ,J’ai fait promenade
Cherbourg vu par Deligny vers 1900
Nous avons visité le port, la digue.
Décidément je fais peu de cas des grands ports de mer.
Je déteste toutes ces maçonneries dont on caparaçonne la mer.
Dans ce labyrinthe de jetées, de môles, de digues, de musoirs,
l’océan disparaît comme un cheval sous le harnais.
Vive Étretat et le Tréport ! Plus le port est petit, plus la mer
est grande. À huit heures du soir, nous quittions Cherbourg.
Nous montions tous les deux à pied lentement la côte de Tourlaville.
Derrière nous la mer s’étalait sur l’immense horizon, unie et
comme cirée. Du point où nous étions on voyait trois golfes.
La magnifique croupe de granit d’où l’on extrait la digue faisait
un bloc sévère au-dessus de Cherbourg qui se voilait de ses fumées.
Un canot qui traversait la rade laissait derrière lui
un long sillage d’argent qui allait distinctement jusqu’à Cherbourg,
quoique l’embarcation en fût à plus d’une lieue.
Le crépuscule simplifiait les lignes déjà fort belles des collines
et de la mer. L’eau était nacrée par endroits, et tout au fond,
au milieu de l’océan mat et sans reflets, on voyait s‘éteindre
le soleil sur lequel s’abaissait une paupière de nuages.
Du reste, Cherbourg n’en avait pas moins une figure médiocre ;
mais, quand le ciel et la mer font une sauce à une ville quelconque,
c’est toujours beau. » V hugo
Les Djinns (Victor Hugo)