le Bon sauveur Picauville
A la demande d’une institution médicale, la Fondation Bon-Sauveur,
l’historien Philippe Artières et le photographe Mathieu Pernot se sont
immergés dans les archives de l’hôpital psychiatrique de Picauville.
Dans de vieux bâtiments voués à la démolition, ils ont trouvé parmi
des centaines de documents contenus dans des cartons,
un fonds photographique important.
De ce travail de recherche, commencé en 2010, une exposition et
un livre sont nés sous le titre « L’Asile des photographies ».
L’exposition (co-produite avec « La Maison Rouge ») était visible
au Centre d’art « Le Point du Jour » à Cherbourg. Le livre a reçu le prix Nadar 2013.
Les auteurs aiment dire que cette recherche rencontre plutôt l’histoire
de la photographie que celle de la psychiatrie.
Il semblerait en effet que, des années 30 à récemment, tous les secteurs
de l’hôpital aient fait le sujet de prises de vues :
patients et personnel soignant, architecture, vie quotidienne et officielle
de l’hôpital. Tous les statuts et les applications de la photographie y sont
représentés : le portrait d’identité, le reportage, l’instantané, la carte postale,
l’anonyme et l’imagerie médicale. En tout, une collection.
Cette profusion de pratiques rejoint le roman de la photographie,
ses particularités et même ses particularismes, telle les photos faites
par et pour les religieuses, des carmélites héritières des fondatrices
de l’institution en 1837.
Où sommes nous ? Qui sont ces gens ?
A l’ approche de toutes ces photographies, il est possible de ressentir
un « trouble » selon le mot de Philippe Artières.
Cet état peut provenir de plusieurs sources : l’anonymat général,
l’absence de repères chronologiques précis, les situations inhabituelles,
des scènes abstraites. Où sommes-nous ?
Le jour de la fête de la sainte patronne du lieu est un grand moment
de détresse pour un regard cartésien.
Le défilé : des hommes marchent en ligne. Qui sont-ils ? Où vont-ils ?
Puis la kermesse, ses stands et le bal masqué. Que font-ils ?
Va t-on assister à une partie de tennis sans balles et sans raquettes (film « Blow-Up ») ?
Iconographie familiale
Ces interrogations se lèvent certes vite, notamment par les photos
des anciennes salles de soins réalisées par Mathieu Pernot. Néanmoins,
la conscience de parcourir l’histoire d’un établissement psychiatrique
est ralentie par la perception habituelle et historique de ce genre d’hôpital.
Mathieu Pernot : En photographie, la psychiatrie est le lieu d’un archétype.
Les photographes viennent en général de l’extérieur vers l’intérieur pour
vérifier ce que l’on pense dehors de dedans.
Ici, ces photos nous racontent autres choses. »
Philippe Artières et Mathieu Pernot (extrait de la préface du livre) :
On ne saura rien des pratiques thérapeutiques passées
du Bon-Sauveur. Les archives écrites, rapports, procès verbaux
d’internement, parties de dossiers médicaux reproduites
laissent deviner une relative légèreté de traitement.
Quelques diagnostics ou études de symptômes sur
des patients se révèlent aujourd’hui très étonnants.
Le fort violent traumatisme subi par les malades et le personnel fut la destruction
presque totale de l’hôpital par les bombardements alliés en juin 1944.
Situé sur la commune de Pont-L’Abbé, le bâtiment, malgré sa croix-rouge
peinte sur les toits, n’a pas été épargné. Dix-sept tués, vingt blessés dont six graves,
dix-neuf évasions. L’essentiel des archives sur un siècle brûlé.
« L’asile des photographies » est une complète, patiente et sensible restitution
de la mémoire de ce qu’on appelait un « asile d’aliénés ». Les textes retrouvés,
anecdotiques ou descriptifs d’une étape concrète de la prospection
d’Artières et de Pernot raccommodent les trous dans cette mémoire que
ne peut recouvrir la photographie. Notamment ceux laissés par les bombes.